Cet hiver, j'avais posé la question à mon ami Manuel: "Ce chêne est particulièrement majestueux. N'est-il pas différent des autres?". Et il m'avait répondu: "bien sûr, c'est un "bugalheiro" et j'en connais quelques autres". Intrigué, je partis en parler autour de moi au village. De fil en aiguille, je découvris que quelques personnes à Campinho désignaient sous le vocable de "sequeiro" des chênes différents de nos chênes verts habituels (Q. rotundifolia). S'en suivirent des conversations avec Carlos Vila-Viçosa et il s'avéra qu'il s'agissait sans doute d'un Cerqueiro, l'hybride entre le chêne vert (Q. rotundifolia) et le chêne liège (Q. suber). Je promis à Carlos qu'à mon retour, j'irais jeter un coup d'oeil un peu plus proche à ce fameux "Sequeiro". Entretemps, la crise du COVID est passée par là et l'ami Manuel nous a quitté tragiquement... Ce qui allait redoubler ma curiosité pour cet hybride, une manière de lui rendre hommage et de tenter de mieux comprendre ce qu'il savait.
A mon retour cet été, il était temps d'en savoir un peu plus. Je commençai par le Cerqueiro devant lequel j'étais passé pendant ... 15 ans sans jamais me rendre compte que c'était un hybride. Et effectivement, une couleur du feuillage plus claire que celle des chênes verts environnants, une écorce avec des allures de chêne liège un peu plus prononcé, et la nervation du dessous des feuilles ainsi que leur forme ne trompaient pas. Des signes distinctifs que j'allais désormais garder en tête lors de mes ballades à vélo.
Ma curiosité attisée, je me pris au jeu d'en chercher d'autres. Petit tour avec Joaquim pour en découvrir deux magnifiques, à quelques dizaines de mètres du Monte das Cebolas, et que je n'avais jamais été voir. Puis trois autres grâce aux indications de Ze Francisco. Un autre encore en compagnie de Helder. Bref: Monte da Duquesa, Monte Santo Amador, Monte da Figueira, Monte das Burras, Monte da Canada novo... chacun avait un ou deux hybrides à nous proposer. Et finalement, ce ne sont pas moins d'une douzaine de "Cerqueiros" sur lesquels nous sommes tombés, des F1 et F2, avec quelques uns particulièrement majestueux.
Et puis, les questions fusent. Des questions de biologie d'abord, qu'elles aient trait à la phénologie de leur pollinisation croisée, aux facteurs qui favoriseraient cette hybridation, à la taille énorme des glands - résulte-t-elle d'une plus grande difficulté à être pollinisé, réduisant ainsi le nombre de glands? -, ...
Et puis, il y a aussi toute la dimension ethno-botanique de l'arbre que les locaux semblent bien connaitre. Au moins deux des exemplaires rencontrés présentaient des traces récentes d'extraction de l'écorce en vue d'usage "médicaux". En discutant avec mes amis alentejanos, il s'avère qu'une fois l'écorce plongée dans l'eau, le liquide qui en résulte est utilisé pour pratiquer des avortements, en le buvant. Quel serait ce composant présent dans le chêne hybride, qui ne le serait pas dans les chênes vert ou liège? Beaucoup ont connaissance de cet usage abortif. Mais ce liquide servirait aussi à traiter des maladies de la peau, y compris chez les animaux.
Manuel m'avait mis sur une piste... Et j'ai à présent pas mal de nouvelles questions à dénouer, ainsi que quelques idées sur la manière de lui rendre hommage... Merci l'ami! Tu nous manques beaucoup trop...